Mathieu Ferhati : "Ce que j’ai aujourd’hui, c’est un cadeau. Je me remercie moi-même pour tout le chemin parcouru, et je remercie la vie de m’avoir offert cette possibilité."

Quand l'opportunité d'une interview avec celui qui fut l'un des modèles les plus fantasmatiques du X gay français se présente - Merci Nicolas ! - on n'hésite pas. D'autant plus que son parcours et sa nouvelle activité de sophrologue/hypno-thérapeute font tout particulièrement échos- au sein de la communauté LGBTQ. En revoyant certains de ses témoignages passés, il nous a semblé évident de diviser nos questions et remarques en trois parties : Réjouissance, Au fond du gouffre et “Régénéracio”. Mathieu Ferhati a répondu à toutes nos questions en délivrant un témoignage poignant, juste et lumineux…
D’après ta fiche signalétique IAFD, c’est vers 2012 tu t'es lancé dans le porno. C'était au sein de Menoboy. Tu peux t'enorgueillir d'une carrière impressionnante, avec des tournages pour de multiples studios gays (et au moins aussi un label hétéro/bi), ainsi que l'obtention du prix du meilleur actif aux PinkX Gay Vidéo Awards 2019.
Alors, petite rectification déjà : je n’ai pas commencé en 2012, mais bien avant. Mes premiers tournages remontent plutôt à 2006-2007. C’est donc une carrière assez longue, avec beaucoup d’expériences différentes, qui s’est étalée sur plusieurs années et avec des phases très variées.
Photos : SketBoy, Mathieu Ferhati et les PinkX Gay Vidéo Awards 2019 (RidleyDovarez)
Quand as-tu cessé de tourner des scènes porno ?
À l’été 2021. Ma dernière scène, si je me souviens bien, c’était en juillet à Marseille, pour Citébeur. Depuis un moment déjà, je sentais que j’avais fait le tour du porno, en tout cas du porno français. Je m’étais même demandé si j’allais pousser davantage ma carrière à l’international, mais finalement, au vu de mon âge et de tout ce que j’avais déjà vécu, j’ai choisi une réorientation.
Bien avant le Covid, j’avais déjà commencé à me tourner vers l’aide, vers le soin, vers une dimension plus humaine. J’avais envie d’utiliser ce que j’avais traversé dans ma vie pour en faire quelque chose de positif et venir en aide aux autres. Et je m’étais toujours promis que j’arrêterais avant mes 40 ans, car je ne me voyais pas continuer éternellement dans ce milieu.
Ce qui a aussi accéléré cette décision, c’est la rencontre de la personne qui partage ma vie aujourd’hui. C’était un déclic supplémentaire, un vrai moteur pour passer à autre chose.
Alors non, je n’ai pas de dernière scène “marquante” en soi. Mais c’est vrai que c’est amusant de voir que l’une de mes dernières scènes, justement à Marseille, je l’ai tournée avec Juan Florian, qui, a lui aussi arrêté depuis.
Photos : Mathieu Ferhati avec Juan Florian dans Nikeurs de Téci 11 (Citébeur)
Quelles sont les choses positivement marquantes que tu retiens de ta carrière porno ? La fierté d'être une porn star ? De belles rencontres, de vrais amis toujours là ? La réalisation de fantasmes ? Se mater dans des DVD porno ?
D’abord, c’est drôle, parce que je ne me suis jamais vraiment considéré comme une “pornstar”. Je n’ai jamais eu cette fierté-là, en fait. J’ai toujours gardé les pieds sur terre. Dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un d’assez humble, et même paradoxalement, j’aime bien passer inaperçu.
Mais oui, il y a eu beaucoup de choses positives. Avant tout, les rencontres. Bien sûr, la plupart des gens que l’on croise restent des collègues, mais il y a eu un petit pourcentage de vraies amitiés qui sont nées de cette aventure. Je pense à Doryann Marguet, Hadrian Capusty, ou encore Dimitri Venum. Ce sont des liens précieux, certains plus intenses, d’autres plus discrets, mais qui m’ont beaucoup apporté.
J’ai aussi pu réaliser des fantasmes, explorer ma sexualité sous toutes ses formes, que ce soit dans des scènes bi, des plans à plusieurs ou avec des partenaires que j’avais envie de rencontrer. Et à l’époque, il y avait encore le support DVD : j’avoue que ça m’a toujours plu de savoir que certaines de mes scènes restaient gravées, que j’avais laissé une trace. Même si je ne me suis jamais vraiment regardé, j’ai conservé ces DVD comme un souvenir.
Et l’argent ?
Ce n’était pas la motivation première. Quand j’ai commencé, les cachets étaient corrects, mais ça s’est beaucoup dégradé avec le temps. Vers la fin, je le faisais vraiment par plaisir. Parce que je suis quelqu’un de très exhibitionniste, et j’aimais l’idée que ce que je faisais allait être vu par des centaines, peut-être des milliers de personnes. C’était comme une forme de transmission, d’expression de moi. Et puis, je l’avoue, j’ai toujours été très sexuel, même depuis l’enfance. Alors quelque part, c’était aussi la réalisation d’un rêve d’enfant.
Juan Florian, que tu évoquais plus haut, est l'actuel ministre de l'égalité et de l'équité en Colombie ! Ça en jette !!! Un exemple à suivre ?
Quand nous avons tourné ensemble, il n’était évidemment pas encore dans ce parcours-là. Mais je me souviens déjà d’avoir perçu en lui une belle personne, peut-être encore un peu perdue à l’époque. Aujourd’hui, je suis vraiment fier de son chemin, fier de son évolution. Oui, clairement, ça en jette. Et je trouve que c’est un bel exemple à suivre.
Mes souvenirs me jouent peut-être un tour, mais si tu as bien tourné en Écosse avec Logan McCree (de son vrai nom Philipp Tanzer), c'est un autre de tes partenaires de scène à être aujourd'hui dans la politique. À la différence que lui est masculiniste, anti LGBTQ, anti-woke, antivax, etc.
Oui, j’ai bien tourné avec lui, mais à Paris, pas en Écosse. J’ignorais totalement ce qu’il était devenu aujourd’hui, les positions politiques qu’il défend. C’est vrai que ça surprend. Mais je ne juge pas. Chacun a son parcours, chacun a son expérience de vie. Ce qui compte, c’est ce que chacun en tire. Moi, à l’époque, je l’ai connu comme quelqu’un d’assez cool. Son chemin l’a emmené ailleurs, et c’est sa liberté.
Quelles sont les choses éventuellement négatives que tu retiens de ta carrière porno ?
Je ne sais pas si je peux parler de “négatif” directement, parce que chaque expérience m’a construit. Mais oui, il y a eu des choses difficiles. Par exemple, dès mes débuts, ma mère a reçu une lettre anonyme qui révélait ce que je faisais, aussi bien dans le porno que dans l’escort. Cette jalousie, cette méchanceté gratuite, ça m’a marqué.
Ensuite, il y a eu certaines rencontres moins agréables, des personnes parfois perdues, abîmées. Ce que j’ai beaucoup vu, ce sont des souffrances, des vides dans les regards. Et ça, ça m’a touché profondément, parce que je suis quelqu’un de très tourné vers l’autre, depuis toujours. J’avais déjà un parcours dans le paramédical en parallèle, et c’est d’ailleurs ce qui m’a ramené plus tard vers la sophrologie et l’hypnose.
Mais le plus dur, ce sont les pertes. J’ai vu beaucoup de collègues mourir, souvent jeunes, parfois dans des circonstances tragiques. Un producteur m’avait parlé un jour de la “malédiction des acteurs porno”, parce qu’il est vrai qu’on en a vu partir énormément ces dernières années. Et ça, c’est probablement la chose la plus lourde à porter.
Le 8 septembre 2020, dans un entretien posté sur YouTube, tu te révélais comme jamais auparavant. Tu annonçais publiquement ta séropositivité.
Tu nous apprenais avoir été au fond du gouffre à cause de ta consommation de drogue liée une activité d'escort. Dans l'entretien tu manifestais entre autres ces trois regrets :
• N’avoir pas pris la PrEP, ce qui t'aurait évité de contracter le VIH,
quatre/cinq ans avant l'annonce public de ta séropositivité.
• Avoir été escort car, comme tu l'as précisé sur BFMTV en 2023,
en marge de l'affaire Palmade, les clients incitent fortement au chemsex.
• Vivre dans un monde où la serophobie s'exprime sans complexe,
même dans le milieu gay
Avec le recul, oui, il y a des choses que j’aurais pu faire différemment. Par exemple, je n’ai pas pris la PrEP au début, tout simplement parce qu’à l’époque, ce n’était pas très bien vu, et puis peut-être aussi parce qu’une part de moi pensait que ça ne m’arriverait pas. Je faisais attention, malgré tout. Mais aujourd’hui, je ne regrette pas vraiment, parce que ma séropositivité fait partie de mon histoire, de mon chemin de vie. Elle m’a rendu plus fort. Et je crois que c’était peut-être écrit, pour que je puisse ensuite transmettre un message fort et positif.
L’escort, ça aussi ça m’a marqué. Il y a eu une part d’addiction derrière, bien sûr. Mais ce qui m’a surtout entraîné dans la spirale, c’est que beaucoup de clients voulaient que tu consommes avec eux. C’était presque imposé. Et c’est pour ça que quand j’ai décidé d’arrêter les drogues, j’ai arrêté l’escort en même temps.
Et puis il y a la sérophobie. Ça, ça a été un vrai choc. C’est ce qui m’a poussé à parler publiquement de ma séropositivité, à prendre la parole pour dire : “Stop, ça suffit.” Je voulais envoyer un message fort, dire aux autres qu’ils ne sont pas seuls.
On vit dans un monde où on est encore obligé de se justifier pour tout. Moi, j’ai voulu prendre cette parole sans complexe, de façon décomplexée, pour véhiculer de la force, du positif, et peut-être apporter un peu de soutien à ceux qui traversent ça.
On dit souvent que ce qui ne tue pas rend plus fort. Eh bien, moi je crois pouvoir dire clairement que ça m’a vraiment rendu plus fort.
Tu as vécu des moments très difficiles...
Oui, j’ai traversé beaucoup d’épreuves. Depuis l’enfance, ma vie a été marquée par la violence, le harcèlement scolaire, des expériences compliquées autour de la découverte de ma sexualité et de mes premiers amours. Mais si je dois dire ce qui a été le plus difficile, c’est vraiment la confrontation à la mort de mes proches.
L’année dernière encore, j’ai perdu ma maman. Ça a été une étape extrêmement douloureuse. Je crois que si je n’avais pas déjà fait tout ce travail sur moi auparavant, grâce à la sophrologie et à l’hypnose, je n’aurais pas pu tenir debout. Cette préparation intérieure m’a sauvé.
Et puis, oui, il y a eu aussi toutes ces pertes dans mon entourage professionnel et amical : des collègues, des amis, partis bien trop tôt, souvent à cause de ce qu’on appelle pudiquement des “arrêts cardiaques”. Derrière ces mots, on sait ce que ça signifie. C’est bouleversant de voir disparaître des personnes qu’on aime ou qu’on apprécie, encore jeunes.
J’ai toujours eu cette conviction que nous sommes ici pour vivre une expérience. Et que cette expérience peut être longue ou courte, lumineuse ou douloureuse. Mais même avec cette philosophie, la perte reste difficile à vivre. Ça laisse un vide.
La découverte de la sophrologie et de l'hypnose t'a heureusement aidé. Et tu es toi-même devenu sophrologue et hypnotiseur. Comment en es-tu venu à la sophrologie et l'hypnose ? Via des associations LGBTQ ?
Non, ce n’est pas du tout par une association LGBTQ. D’ailleurs, je pense qu’il reste encore du chemin à faire de ce côté-là, pour rendre ces approches plus accessibles. J’ai même eu l’idée, à un moment, de monter une association tournée vers le bien-être. Peut-être qu’un jour je le ferai, c’est une graine que je garde en moi.
En réalité, mon cheminement a commencé bien avant le Covid. J’avais passé un test d’orientation professionnelle qui me disait que je pourrais être steward — ce qui tombait bien, puisque j’ai toujours eu une passion pour les voyages. Mais c’est surtout à l’été 2019 que j’ai eu un véritable électrochoc. À ce moment-là, j’étais encore dans une relation toxique, je consommais énormément de drogues, au point de me dire que peut-être mon cœur allait finir par lâcher. J’avais presque accepté cette idée. Et puis… mon cœur n’a pas lâché. Et aujourd’hui, je rends grâce à la vie, parce que sinon je ne serais pas là pour en parler.
Après cet été-là, j’ai compris que j’étais face à un choix : soit je me détruisais, soit je reprenais ma vie en main. Et j’ai choisi de reprendre ma vie en main. Quand on fait ce pas-là, quand on s’aligne enfin sur son chemin, on commence à voir apparaître des opportunités, des rencontres lumineuses.
D’abord, j’ai croisé une personne qui m’a énormément aidé à travers des soins énergétiques. Puis j’ai rencontré une amie sophrologue, et c’est là que j’ai eu le déclic : je voulais me former à mon tour. Je n’avais jamais pratiqué la sophrologie avant, mais j’étais attiré. J’ai suivi la formation, j’ai commencé à pratiquer, et je me suis tout de suite senti à ma place.
Plus récemment, je me suis tourné vers l’hypnose, pour élargir mon panel d’outils et pouvoir encore mieux accompagner. Parce qu’au fond, tout mon parcours est devenu ma matière première : mon enfance marquée par la violence, le harcèlement scolaire, mes expériences de couple toxique, mes addictions… Tout ce que j’ai traversé, toutes ces blessures je les ai transformées en une force. Et aujourd’hui, cette force, je la mets au service des autres.
Ta vie a donc changé sur tous les points ou... ?
Oui, ma vie a vraiment radicalement changé, en tout point. Ça a été un bouleversement total, parce que depuis mes 20 ans, j’étais enfermé dans un schéma de vie complètement différent de celui que je mène aujourd’hui, je crois même pouvoir affirmer que j’étais dans l’autodestruction.
D’abord, il y a eu une rencontre importante : la personne avec qui je partage ma vie aujourd’hui. Je parlais tout à l’heure des belles rencontres qu’on fait quand on est enfin sur son chemin, et c’en est la preuve. Au début, je n’aurais jamais imaginé construire quelque chose avec elle, parce qu’elle était à l’opposé de tous mes choix précédents. Plus âgée, plus stable… Et c’est justement ça qui a permis de sceller le travail que j’avais déjà commencé sur moi. Cette rencontre a apporté de la droiture, de la stabilité, une base solide.
Je suis passé d’une vie de débauche, sans sommeil, dans les avions, les soirées, les drogues, à une vie simple où j’apprécie juste de pouvoir me retrouver chez moi le soir, regarder la télé, savourer le calme et la sérénité. Ce que j’ai aujourd’hui, c’est un cadeau. Je me remercie moi-même pour tout le chemin parcouru, et je remercie la vie de m’avoir offert cette possibilité.
Oui, ma vie a changé en tout point : je suis plus posé, plus épanoui, plus joyeux aussi. Les blessures du passé sont toujours là, mais elles font partie de moi, et elles sont devenues une force. Je ne consomme plus de drogue depuis cinq ans. Au début, ce n’était pas facile, bien sûr, mais aujourd’hui je sais que j’ai entre les mains quelque chose de beaucoup plus précieux.
Et puis il y a ce projet de devenir papa. C’est un rêve que j’avais déjà lancé il y a des années, que j’ai dû mettre en pause — parce que je n’étais pas encore prêt, parce qu’il y avait aussi l’aspect financier, puis la perte de ma maman… Aujourd’hui, je sens que c’est le moment. J’espère que ça va bientôt se concrétiser, et que je pourrai ouvrir encore une nouvelle page de ma vie.
Tout ça, c’est aussi grâce à la sophrologie et à l’hypnose. Ces pratiques m’ont aidé à comprendre, à transformer, et elles ont vraiment achevé ce processus de renaissance.
Et dans tous les cas, je n’ai aucun regret sur mon parcours de vie. Peut-être même que si c’était à refaire, je referais les mêmes choix. Parce que tout cela fait partie de mon histoire, et c’est ce qui m’a permis de devenir la personne que je suis aujourd’hui. Je crois profondément que nous sommes ici, sur Terre, pour vivre une expérience. Et toutes ces expériences m’ont permis de me révéler, de devenir enfin celui que je devais être.
En recherchant la définition de la sophrologie, on trouve ceci : " une combinaison de techniques de relaxation, de respiration et de visualisation positive visant à favoriser le bien-être et à réduire le stress." Quant à l'utilisation de l'hypnose : " elle est adoptée pour traiter les addictions, les troubles du soleil comme les troubles alimentaires, les phobies, les affections physiques et psychosomatiques." C'est exactement ce que tu pratiques ?
Oui, exactement. La sophrologie, c’est la première pratique que j’ai découverte. On parle souvent de “relaxation dynamique”, mais ce n’est pas seulement un moment pour se détendre. Pour moi, c’est surtout un travail de fond, une routine qu’on installe au quotidien. J’explique toujours à mes patients qu’il n’y a pas de baguette magique : il faut un petit investissement personnel, de l’entraînement. À force de répétition — par la respiration, la visualisation, la prise de conscience — on transforme peu à peu sa manière de vivre, sa structure intérieure, son rapport à soi.
L’hypnose, elle, agit différemment : on est dans quelque chose de plus direct. On se concentre sur un objectif précis, et on va chercher à le débloquer, à le transformer. C’est très efficace pour les addictions, les troubles du sommeil, la perte de poids, les traumas, le stress, l’anxiété, voire certaines affections psychosomatiques.
Dans ma pratique, j’utilise aussi beaucoup mon vécu personnel. Ayant connu le harcèlement scolaire, je me suis formé pour accompagner les enfants, les adolescents, et les personnes qui portent encore ces blessures. Comme j’ai un projet de parentalité, je me suis également spécialisé dans tout ce qui touche à la périnatalité : les parcours de FIV, la GPA, l’accueil de l’enfant, le fait de recevoir et d’accompagner les futurs parents dans ce cheminement, jusqu’au moment de la naissance. J’accompagne aussi les situations de deuil périnatal.
À côté de ça, je travaille également sur les addictions et sur les problématiques de couple. Finalement, la sophrologie et l’hypnose sont deux outils complémentaires qui permettent de travailler sur un large éventail de situations, toujours en s’adaptant à la personne et à son histoire.
Et je continue à me former : actuellement, je me spécialise aussi en hypnose transgénérationnelle. Parce que l’on sait aujourd’hui, et c’est scientifiquement prouvé, que certains traumatismes, certaines blessures, voire même des addictions, peuvent se transmettre à travers les cellules, d’une génération à l’autre. Travailler sur cette dimension permet d’élargir encore l’accompagnement, en libérant non seulement l’histoire personnelle, mais aussi des héritages familiaux invisibles.
Tes compétences sont particulièrement utiles dans ce monde extrêmement stressant. Et peut être encore plus pour un gay, travailleur du sexe séropositif. Il subit :
- l’homophobie
- Une objectivation qui ne supporte aucun défaut ni failles
- La sérophobie
Peut-on considérer la consommation de drogue comme un passage obligé pour pouvoir supporter cette triple pression ? Se sentir ainsi tel un bel et invincible super-héros du sexe ?
Non, je ne crois pas qu’on puisse dire que c’est un passage obligé. Dans la vie, rien n’est vraiment “obligé”. Mais c’est vrai que la drogue donne cette illusion : l’impression d’être invincible, presque un super-héros du sexe.
Moi, à un moment donné, j’étais sorti du côté “plaisir”. J’étais passé dans la surconsommation, non pas pour la performance sexuelle, mais pour tenir. Tenir face à tout ce que je subissais : la sérophobie, les relations toxiques, les clients très exigeants… mais aussi les aléas de la vie quotidienne et toutes mes blessures passées. J’étais entré dans une spirale vicieuse.
Je me sentais comme au fond d’un puit noir. Quand je levais les yeux, je ne voyais rien : aucune sortie, pas de lumière, rien pour m’accrocher. Et la drogue, loin de m’aider, m’enfonçait encore plus dans ce puit en me désociabilisant.
Je crois aussi que cette spirale est liée à la société dans laquelle on vit. On nous en demande toujours plus : paraître sous notre meilleur jour, montrer seulement le positif. Les réseaux sociaux ont accentué cette pression. On voit des acteurs, des influenceurs, toujours parfaits en apparence. Alors on se dit qu’on doit cacher nos blessures, nos failles, nos fragilités. Et c’est là que beaucoup se tournent vers la drogue, pensant qu’elle les aidera à supporter tout ça.
Mais ce n’était pas une aide, pour ma part c’était une fuite. Et je n’ai jamais été quelqu’un qui fuit. C’était la première fois de ma vie que je me retrouvais acculé de cette manière.
Et puis, il faut aussi parler du rôle qu’a joué la pandémie de Covid. Ça a été un véritable accélérateur. Pendant cette période, beaucoup de personnes se sont retrouvées isolées, seules face à elles-mêmes, et ça a été très dur pour celles qui n’avaient pas l’habitude du silence et de la solitude. Certaines, qui ne consommaient pas auparavant, ont commencé à le faire, et d’autres se sont enfoncées encore plus dans leurs habitudes. On a vu une vraie recrudescence de la consommation, notamment au sein de la communauté LGBT, mais pas seulement. Pour beaucoup, la drogue est devenue une béquille pour tenir durant cette période compliquée, ce qui a contribué à augmenter le nombre de consommateurs.
Par rapport à tes séances thérapeutiques, à quel moment est-il préférable de faire appel à toi ? Quand on est au fond du gouffre ?
Je ne pense pas qu’il faille attendre d’être au fond du gouffre. Ça, c’est vraiment pour les cas extrêmes. En réalité, on peut faire appel à moi dans beaucoup de situations différentes : des personnes stressées, anxieuses, qui se sentent un peu désociabilisées, qui ont traversé du harcèlement scolaire, qui portent en elles des blessures, des traumas ou ont vécu des relations toxiques, par exemple avec des pervers narcissiques.
Mais cela peut aussi être tout simplement dans le cadre d’un développement personnel. Pour moi, il n’y a pas de bon ou de mauvais timing. On peut venir en prévention, comme on peut venir quand la difficulté est déjà là. L’essentiel, c’est d’écouter son ressenti. Si une personne sent qu’elle est prête à faire ce travail sur elle, alors c’est le bon moment.
Interviens-tu aussi hors de ton cabinet médical, à I hôpital ou dans les locaux d'une association ?
Oui, ça m’est arrivé. J’ai par exemple eu l’opportunité d’intervenir dans des hôpitaux tel qu’à l’hôpital Saint-Antoine, où j’animais des groupes le soir. Ça a été une super expérience. Ensuite, je me suis recentré sur le développement de mon activité en cabinet, mais c’est quelque chose qui m’intéresse toujours beaucoup : intervenir dans des associations, des hôpitaux, ou d’autres structures.
Je suis ouvert à toutes les propositions, à toutes les possibilités. J’aime aller à la rencontre de nouvelles personnes, partager, transmettre, apporter mon expertise. Et comme je le disais, j’ai toujours en tête, peut-être un jour, de monter ma propre association. Donc oui, bien sûr, je peux intervenir en dehors de mon cabinet si l’occasion se présente.
As-tu des procédures types ou t'adaptes-tu systématiquement au patient. Par exemple comment tu réagis quand un patient t'appelle Mathieu Ferhati, qui est ton pseudo de d'ex-porn star ?
Non, je n’ai pas de procédure type. Je m’adapte toujours au patient. Quand il arrive, je prends le temps de l’écouter et ensuite je définis quel protocole mettre en place. En sophrologie comme en hypnose, il existe énormément de possibilités, et j’ai aujourd’hui une vraie boîte à outils que je peux mobiliser en fonction de la problématique. Mon objectif, c’est de coller au plus près de ce que la personne veut atteindre, de lui faire sentir qu’elle est entendue et qu’elle sera accompagnée sur son chemin.
Concernant mon ancien pseudo, ça ne pose plus de problème. Que ce soit Mathieu Ferrati ou Jonathan, j’ai toujours assumé mon parcours. Mais il était important pour moi de redémarrer sur une entité neutre, justement pour ne pas rester bloqué entre “Mathieu” et “Jonathan”. J’avais toujours cloisonné ma vie privée et ma vie d’acteur porno, et j’ai mis du temps à accepter de fusionner ces deux parties de moi. Aujourd’hui, je suis en paix avec ça.
C’est pour cette raison que j’ai créé Régénéracio. Ce nom symbolise la renaissance, comme le phénix qui renaît de ses cendres. Pour moi, Régénéracio, c’est donner à chaque personne la possibilité de se régénérer, de retrouver son chemin de lumière.
Après, il y a des petites anecdotes : oui, il arrive encore que des personnes me contactent en tant que thérapeute mais en faisant référence à mes vidéos, ou en me disant “je te trouve beau”. Ce n’est évidemment pas la meilleure manière de m’aborder. Aujourd’hui, j’ai le recul nécessaire : je sais comment réagir en tant que thérapeute, et dans ces cas-là, je mets naturellement de la distance.
Combien de rendez-vous faut-il pour en apprécier les bienfaits ?
C’est une question un peu compliquée, parce que c’est vraiment du cas par cas. Mais je peux quand même donner quelques repères.
En sophrologie, je recommande souvent un forfait de cinq séances pour commencer à ressentir les effets. Parce que, comme je l’ai expliqué, la sophro n’est pas magique : c’est un travail qui demande un peu d’investissement personnel. Les exercices vus en séance doivent être répétés à la maison pour en tirer le maximum de bénéfices. C’est à force de pratique qu’on reconnecte le corps et la conscience, qu’on retrouve son souffle, son énergie vitale.
En hypnose, on est plus direct. On travaille sur un objectif précis, en allant chercher la cause du problème. Parfois, une séance suffit, mais c’est assez rare. En général, on compte plutôt une à deux séances, parfois davantage selon la complexité de la situation.
J’aime aussi combiner les deux approches : commencer par la sophrologie pour apaiser, libérer, réinstaller un lien avec son corps, puis basculer sur l’hypnose pour aller travailler en profondeur. C’est vraiment une question d’adaptation et de besoins. Certains viennent pour un travail doux, sur le long terme, d’autres pour des problématiques plus lourdes comme les addictions ou les traumas. Donc la réponse reste : c’est au cas par cas.
Des patients qui pratiquent le chemsex t'ont-ils déjà exprimé leur peur que leur sexualité sera moins intense, plus fade une fois que leur addiction sera traitée ?
Oui, c’est une question qui revient assez souvent. Personnellement, ce n’est pas une peur que j’ai eue dans mon propre parcours, mais je la comprends, et je la retrouve aussi bien chez mes clients qu’autour de moi.
Moi, ce que j’ai réalisé avec le temps, c’est que l’intensité sexuelle liée à la drogue est en réalité une fausse intensité. Quand je consommais, je ne vivais pas vraiment l’acte sexuel : je vivais la consommation de drogue et l’acte en même temps. Du coup, je n’étais pas présent. J’étais déconnecté de mon corps, évadé de moi-même.
Alors oui, je comprends cette peur, mais ce que je réponds toujours, c’est qu’au contraire, il y a un vrai plaisir à retrouver. Ça peut prendre du temps, le chemin peut être plus ou moins long selon les personnes, mais à l’arrivée, on redécouvre une sexualité authentique, libérée. Le vrai plaisir sexuel, ce n’est pas celui qui est artificiellement amplifié par la drogue. Le vrai plaisir, c’est celui qu’on ressent pleinement, avec présence, dans son corps, dans l’instant. Et ça, c’est infiniment plus fort.